Autoportrait de Calcutta by Catherine Clément

Autoportrait de Calcutta by Catherine Clément

Auteur:Catherine Clément [Clément, Catherine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman historique, Drame, Inde, Littérature française
Éditeur: Seuil
Publié: 2021-03-31T13:43:17+00:00


16 août 1946 : le bain de sang de la Ligue musulmane

* * *

Ce que j’ai vu de pire depuis ma naissance ? Les massacres du 16 août 1946. Sans hésitation. Ils se sont déroulés dans mes rues, sur mon corps.

Mes musulmans militants – pour obtenir un Pakistan séparé – avaient donné comme point de rendez-vous le monument Ochterlony à midi pile. Pourquoi ? Parce que la Ligue musulmane n’était pas sûre de la sincérité de son partenaire de négociations, le Parti du Congrès.

Qui représentaient-ils ? La Ligue, toute jeune, représentait les musulmans, et son leader, Mohammed Ali Jinnah, ancien membre du Congrès, tenait ferme sur ses volontés : dans le partage des Indes britanniques qui s’annonçait, il voulait que les provinces de l’extrême Est et celles de l’extrême Ouest deviennent un seul État indépendant, réservé aux musulmans de l’Inde. Mais le très vieux Parti du Congrès tenait dur comme fer à l’unité entre hindous, musulmans et Sikhs, et ses leaders avaient accepté la partition du pays à grand-peine, du bout des lèvres, disait Jinnah.

Ses leaders étaient grands. Le premier, le Mahatma Gandhi, n’était plus président de son parti depuis longtemps et redoutait par-dessus tout une Inde partagée en deux, je vous l’ai dit. « Notre Mère l’Inde, disait-il avec le même accent que Ramakrishna disait “Notre Mère Kâli”, si on la coupe en deux, des fleuves de sang se mettront à couler. » Mais Gandhi voulait aller lentement comme il l’avait toujours fait, alors que le gouvernement britannique de Clement Atlee, chef du Parti travailliste victorieux aux élections de 1945, voulait aller très vite en tout, l’augmentation des retraites et salaires, en même temps que la décolonisation des Indes.

L’autre grand du Parti du Congrès, Jawaharlal Nehru, le plus fervent fidèle du Mahatma, voulait lui désobéir et saisir l’occasion, trop attendue, d’obtenir enfin l’indépendance de l’Inde, même amputée de son Cachemire et d’une partie de son Bengale.

Lorsqu’il comprit l’accélération de l’histoire, Gandhi se retira dans le mutisme et se prépara à ramener la paix entre hindous et musulmans dans tout le pays. Il remporta de courtes victoires, épargnant quelques milliers de vies.

À cette époque, la tendance était aux chiffres extrêmes. Quatre mille morts chez moi pendant les soixante-douze heures de meeting de la Ligue musulmane. Deux millions de vies perdues en trois mois de partition des Indes britanniques. J’avais deux cent mille habitants dans les Indes britanniques et j’en ai aujourd’hui quinze millions en Inde. La pulsion de l’essor démographique est devenue irrésistible. J’ai beau avoir bon pied bon œil, quelquefois je suffoque.

Donc Mohammed Ali Jinnah, trouvant qu’en 1946 les négociations piétinaient, décida de marquer le coup. Il lança son mot d’ordre sous le nom de Direct Action Day « Journée d’action directe », slogan aux sonorités belliqueuses. Plus tard, après le désastre, Jinnah jura qu’il n’avait pas voulu ça. Mais bien sûr !

Ses militants devaient converger vers ce curieux minaret érigé en l’honneur d’un major général des armées de la Compagnie qui mourut près de Delhi sans qu’aucune de ses treize épouses soit sacrifiée devant son cercueil.



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